LE TRAVAIL ET LA LIBERTE

« Jouis de la vie avec la femme que tu aimes, 
Pendant tous les jours de ta vie de vanité…
Car c'est ta part dans la vie, 
Au milieu de ton travail que tu fais sous le soleil. » 

Ecclésiaste 9 v.9. 

A première lecture, ce très beau verset des Proverbes donne l’impression d’une contradiction : « Jouis de la vie », « Avec la femme que tu aimes » et, « Au milieu de ton travail ».
 
Notre société post-moderne semble bien plus concentrée sur une vision hédoniste de la vie, où le plaisir est roi, et où il convient de s’en procurer le plus possible comme si la jouissance en elle-même suffisait à ouvrir la porte au bonheur. Parmi ces plaisirs règnent en impératrices, l’oisiveté, et les vacances. En outre, nombreux sont ceux qui ne veulent travailler que s’ils peuvent avoir en résultat, le repos, les vacances, la retraite et si toute leur besogne de la semaine ne devait servir qu’à se permettre les fêtes du week-end. 
 
Dans son introduction aux Méditations de l’Empereur Philosophe Romain Marc Aurèle¹, W.H.D Rouse² rappelle à raison que l’éthique chrétienne est bien plus inspirée des mouvements Stoïques qui se méfient beaucoup de la jouissance recherchée comme un but en soi. Pour eux, « le plus grand bien était la vie vertueuse. La vertu seule c’est le bonheur, et le vice c’est le chagrin (ou la privation de bonheur³) », ajoutant que « Il est instruisant de comparer les Méditations avec un autre livre très célèbre, L’Imitation de Jésus-Christ⁴. Il y a le même idéal de contrôle de soi dans chacun d’eux. Ce devrait être la tâche de l’homme dit l’Imitation, de triompher de lui-même, et de chaque jour être plus fort que lui-même. ». « Dans la résistance aux passions s’érige la véritable paix du cœur⁵ ». 
 
Dans la foi et la tradition chrétiennes, le travail est une vertu cardinale. 
« Car, lorsque nous étions chez vous, nous vous disions expressément : Si quelqu'un ne veut pas travailler, qu'il ne mange pas non plus » intimera Paul⁶, alors que l’auteur des Proverbes avertira celui qui croise un peu trop les mains, que « La pauvreté te surprendra comme un homme en armes⁷. »  
 
L’esclavage
 
Outre le résultat induit de la paresse ou du découragement d’un individu, la pauvreté dans la Bible est souvent vue comme le résultat injuste d’un asservissement des peuples par une surcharge de leur travail ou de sa rémunération indue⁸, déguisée en salaire de base censé aider sortir les gens du seuil de pauvreté. A contrario, on jette aussi les gens dans la pauvreté par la limitation forcée du temps de travail puisqu’ils sont alors privés de leur liberté de travailler autant qu’ils le voudraient ou qu’ils en auraient besoin pour parvenir à leurs objectifs, sous prétexte qu’il faut en laisser aux autres. 
 
La pauvreté -ou l’impossibilité, l’interdiction, le stigmate de progresser ou de s’enrichir- est entre autres, un véritable assujettissement moderne qui ne dit pas son nom, par lequel un gouvernement, des souverains, des systèmes religieux ou économiques, ou bien encore une gérontocratie politicienne, orchestre par aubaine un système économique qui nous épuise par ses exigences infinies, nous force à un labeur permanent, nous écrase sous des taxes sans cesses plus imposantes, au prétexte de nous offrir des sécurités et un repos plus tard, bien plus tard, et trop tard certainement. 
Pendant ce temps, c’est eux qui prennent tout…  en toute tranquillité en plus, car bien entendu, lorsqu’on  a juste de quoi boucler la fin de mois, on n’a pas les moyens de nos ambitions, ni d’investir dans nos enfants, nos biens, nos terres, nos maisons, ou dans nos entreprises, on sera malade d’épuisement ou mort trop tôt, donc la société n’aura pas à nous payer ce pour quoi on s’est échiné à galérer, mais surtout, on est contraint de se soumettre au système car on n’a ni l’argent, ni la puissance, ni les réseaux ni le temps de se révolter ou de défaire un pouvoir en place. 
 
Astreindre à ne dépendre que d’un emploi régulé pour survivre avec le minimum est ce que l’Ancien Testament appelle : L’Esprit d’Égypte. 
 
La liberté
 
Dans la foi et la tradition chrétiennes, le travail est une liberté individuelle sacrée.  
C’est notre chance aussi. Pour elles, le fait de pouvoir devenir meilleurs, d’aller plus loin, de réussir des défis, des examens, de progresser dans ce que nous sommes, dans la profession que nous avons choisie, apprendre à augmenter ou embellir ses biens, se multiplier, avoir des enfants et des petits-enfants, voir le résultat des risques pris pour investir, se dédier à aider des missions, l’Église, des associations, multiplier les bonnes œuvres en tout genre, etc., sont vus comme des actes de foi⁹, des bénédictions d’un Dieu qui, à l’instar de ce qu’il a dit à Moïse,  intime l’ordre à ces leaders qui sont érigés en responsabilité « Lève-toi de bon matin, et présente-toi devant Pharaon ; … Tu lui diras : Ainsi parle l’Éternel : Laisse aller (libre) mon peuple, afin qu’il me serve¹⁰. »
 
Dans la foi et la tradition chrétiennes, le travail est un vecteur du bonheur. 
Tous les avantages qui en découlent, le repos, la détente, profiter des résultats de son labeur, l’enrichissement financier ou humain, les vacances qu’on peut se payer, les voyages ou les bons repas -que la Bible appelle ses récoltes- feront pour l’être humain, sa récompense et donc son véritable enchantement. On dit d’ailleurs jouir des fruits de son travail car le plaisir résulte plus des sentiments de bonheur, d’accomplissement et de dépassement de soi au service du prochain, ce qui est en définitive le plus beau service que l’on puisse se rendre à soi-même¹¹.

« C’est pour la liberté que Christ nous a affranchis. Demeurez donc fermes, et ne vous laissez pas mettre de nouveau sous le joug de la servitude¹². »

Prière : « Mon cher Seigneur. Ta Parole me dit que tout ce que ma main trouve à faire, je dois le faire¹³, de ne jamais me lasser de faire le bien¹⁴, de faire fructifier tout ce que tu me confies¹⁵ ou ce que je choisis d’entreprendre. Je veux m’engager pour toi et considérer ta confiance que tu me fais comme un bonheur et une source de grande fierté. Apprends-moi à progresser et à faire progresser les autres, à comprendre que le plaisir dans la vie est le résultat d’un travail bien fait et non pas une condition pour que je travaille pour toi, pour les autres et pour moi. Merci de ce que c’est là ma part sous le soleil¹⁶. Merci pour cette joie ! Que je sois fier d’être chrétien !  Amen. »
 
Références : 
¹ Marcus Aurelius Antonius : Méditations. Traduction de Casaubon.
² W.H.D Rouse : Introduction aux Méditations, p.6. 
³ Traduction de l’auteur. 
⁴ L’imitation de Jésus-Christ, Thomas A. Kempis. Fin XIV^ème Siècle. 
⁵ W.H.D Rouse : Introduction aux Méditations, p.7. Traduction de l’auteur.
⁶ 2 Thessaloniciens 3 v.10-12 : « Car, lorsque nous étions chez vous, nous vous disions expressément : Si quelqu'un ne veut pas travailler, qu'il ne mange pas non plus. Nous apprenons, cependant, qu'il y en a parmi vous quelques-uns qui vivent dans le désordre, qui ne travaillent pas, mais qui s'occupent de futilités. Nous invitons ces gens-là, et nous les exhortons par le Seigneur Jésus Christ, à manger leur propre pain, en travaillant paisiblement. »
⁷ Proverbes 6 v.9-11 : « Paresseux, jusqu'à quand seras-tu couché ? Quand te lèveras-tu de ton sommeil ? Un peu de sommeil, un peu d'assoupissement, Un peu croiser les mains pour dormir !... Et la pauvreté te surprendra, comme un rôdeur, Et la disette, comme un homme en armes. »
⁸ Exode 6 v6-10 : « C’est pourquoi dis-leur de ma part : « Je suis l’Éternel ! Je vous soustrairai aux corvées auxquelles les Égyptiens vous soumettent : je vous libérerai de l’esclavage qu’ils vous imposent, et je vous délivrerai par la force de mon bras et en exerçant de terribles jugements. Je vous prendrai pour mon peuple, et je serai votre Dieu. Ainsi vous saurez que je suis l’Éternel votre Dieu qui vous affranchis des corvées que les Égyptiens vous imposent. Puis je vous ferai entrer dans le pays que j’ai juré de donner à Abraham, à Isaac et à Jacob ; je vous le donnerai pour qu’il vous appartienne, moi, l’Éternel. Moïse répéta ces paroles aux Israélites, mais ils ne l’écoutèrent pas parce qu’ils étaient démoralisés, à cause de leur dur esclavage. »
⁹ Hébreux 11 v.8 : « C'est par la foi qu'Abraham, lors de sa vocation, obéit et partit pour un lieu qu'il devait recevoir en héritage, et qu'il partit sans savoir où il allait. C'est par la foi qu'il vint s'établir dans la terre promise comme dans une terre étrangère, habitant sous des tentes, ainsi qu'Isaac et Jacob, les cohéritiers de la même promesse. Car il attendait la cité qui a de solides fondements, celle dont Dieu est l'architecte et le constructeur. »
¹⁰ Exode 8 v.16 : « L'Éternel dit à Moïse : Lève-toi de bon matin, et présente-toi devant Pharaon ; il sortira pour aller près de l'eau. Tu lui diras : Ainsi parle l’Éternel : Laisse aller mon peuple, afin qu’il me serve. »
¹¹ Colossiens 1 v.9-10 : « Nous ne cessons de prier Dieu pour vous, et de demander que vous soyez remplis de la connaissance de sa volonté, en toute sagesse et intelligence spirituelle, pour marcher d'une manière digne du Seigneur et lui être entièrement agréables, portant des fruits en toutes sortes de bonnes œuvres et croissant par la connaissance de Dieu. »
¹² Galates 5 v.1 : « C'est pour la liberté que Christ nous a affranchis. Demeurez donc fermes, et ne vous laissez pas mettre de nouveau sous le joug de la servitude. »
¹³ Ecclésiaste 9 v.10 : « Tout ce que ta main trouve à faire avec ta force, fais-le ; car il n'y a ni œuvre, ni pensée, ni science, ni sagesse, dans le séjour des morts, où tu vas. »
¹⁴ 2 Thessaloniciens 3 v.13 : « Pour vous, frères, ne vous lassez pas de faire le bien. »
¹⁵ Luc 19 v.13 : « Puis il leur recommanda : « Faites fructifier cet argent jusqu’à mon retour ! »
¹⁶ Ecclésiaste 9 v.9 : « Jouis de la vie avec la femme que tu aimes, pendant tous les jours de ta vie de vanité, que Dieu t'a donnés sous le soleil, pendant tous les jours de ta vanité ; car c'est ta part dans la vie, au milieu de ton travail que tu fais sous le soleil. »